Vanité

ventura
source : Blog du West 2

Il y a donc des chansons que j’ai découvertes grâce au cinéma. Mais certains films m’ont été mis sous le nez par des gens. Je ne te parle pas des films qu’un pote t’a forcé à regarder chez lui. (Amis que j’ai coincés devant “All that jazz”, encore pardon). Je pense aux films dont quelqu’un que tu ne connais pas forcément très bien t’as vanté les qualités avec une flamme quasi suspecte.

Un collègue à moi a regardé comme ça “Garde à vue”. Je lui en avais parlé, sans doute pas franchement sobre, avec un enthousiasme qui confinait au sectaire. Ce qui me fait dire que ma sobriété était approximative, c’est que je n’ai jamais eu aucun souvenir de ma diatribe. Quelques mois plus tard, dans l’open space, le gars m’a dit “Tiens, j’ai vu “Garde à vue””, j’ai pensé à toi.”

-Ah bon ?

– Oui, tu m’en avais parlé. Tu m’as dit que c’était génial. J’ai eu envie de le voir.Tu étais vraiment très très enthousiaste.”

J’étais très contente d’avoir conseillé ce film. Même sobre, je n’en démords pas et je n’envisage pas d’avoir un jour l’envie de renier cette admiration.

C’est une ancienne collègue, mi-goth, mi chée-per, pas extrêmement futée mais bien curieuse, qui m’a conseillé “L’échelle de Jacob”. J’ai été partagée pendant des années. La fille me semblait un peu concon, mais je n’en étais pas sûre. Elle avait utilisé des termes très vagues mais elle semblait vraiment habitée par ce film. C’était il y a 18 ou 19 ans. Je pensais toujours à ce film, j’avais acheté le DVD sans le visionner. Je n’ai plus de lecteur DVD.

Au mois de mars, je me suis récupérée une espèce de grippe-hypotension, à côté de moi, “les Vieux” de la chanson de Brel, c’était Usain Bolt. Je déposais l’enfant à l’école et m’échouai sur le canapé pendant plusieurs jours. Armée de la télécommande et d’un sandwich à l’omelette, je cherchais des films. Je suis tombée sur “L’échelle de Jacob”. J’ai repensé à l’enthousiasme vaporeux d’Anne-Cécile, et j’ai regardé le film. (Merde, merde, merde, c’est un blog, c’est déjà trop long).

A ce stade de mon post, je t’épargne le “Si vous avez manqué le début”. J’ai simplement pris la même baffe que ma collègue 20 ans plus tôt, à 20 ans de moins que ce que je n’ai aujourd’hui. Je pense que cette fille a oublié mon existence. Et dans ma vie, elle n’est pas spécialement importante. Mais ce film a créé un genre de lien invisible. Je ne la connais pas et je sais que ce film a été important. Si je la recroise, je lui dirai, comme mon collègue l’avait fait pour moi, “j’ai vu le film, j’ai pensé à toi”. C’est l’opposé du destin du lecteur. Au lieu de créer des liens entre tes lectures, ça crée des liens avec les gens.

Je n’aime pas les films sur la guerre du Vietnam. Ce sont souvent des objets portés au pinacle que je ne comprends pas.  “Hair”, “Outrages” et “L’échelle de Jacob” échappent à ça.

Un tiers de ma culture cinématographique sur la Défaite des Américains vient de ma collègue. J’ai bien fait de l’écouter, la fille que je pensais un peu concon.

Embrasser est un sport de combat

Quand j’ai écrit le premier post de cette catégorie, j’avais en tête la préoccupation d’écrire sur les baisers de cinéma qui m’ont le plus émue. Mon préféré a longtemps été celui qu’échangent Betty et Denis dans “Un air de famille”. Je pense très souvent, et depuis très longtemps, à cette scène, et écrire à son sujet est très difficile. Ca me fait l’effet d’être Patrick Bruel quand il chante Barbara. Pas vraiment à la hauteur.

jp et agnès
source : tout le ciné

Toutes les choses importantes sont pour moi contenues dans ce baiser. Betty et Denis entretiennent une relation qu’elle qualifie de “merdeuse” avant d’y mettre un terme au début du film. Denis est serveur au “Père tranquille”, bar dont le patron n’est autre qu’Henri, le frère de Betty. Parce que la famille de Betty embrasse la mesquinerie de toutes les façons possibles, elle leur cache sa relation – merdeuse, donc- avec Denis. Le film analyse l’échec d’une réunion de famille, et par là-même, l’échec de la famille.

Betty et Denis se séparent au début de la soirée et n’ont presque aucun moment seuls dans les heures qui suivent. Elle lui fait vaguement croire qu’elle a quelqu’un d’autre, on comprend facilement pourquoi elle attribue le qualificatif qui le blesse tant en parlant de leur liaison. Mais, d’une autre façon, tout aussi juste, que chez Stéphane Brizé, on saisit en observant les regards qu’ils s’échangent, les inflexions dans leurs voix, qu’ils sont amoureux l’un de l’autre. Au moment où le film les cueille, ils n’ont pas d’avenir. Et ils se donnent un des plus beaux baisers du cinéma français.

A la fin de la soirée, Denis termine son service et quitte le bar. Betty lui emboîte le pas. Ils sont sur le perron du “Père tranquille”. En parlant du “fiancé” que la mère de Betty a évoqué avec elle, Denis, dont l’allure trimballe en permanence la résignation, lui demande “Dis, il serait pas serveur au Père tranquille, ton fiancé ?”. Et Betty l’embrasse. En queue de cheval et blouson de cuir, elle capitule. Elle a la capitulation libre et courageuse. Elle embrasse Denis, le serveur, devant son frère, le patron de Denis, devant sa mère, une mémère aigrie qui n’a jamais su aimer qu’un seul de ses trois enfants et qui voulait pour elle un beau parti. Il y a plus de sens dans ce baiser que dans bien des films “sociaux”. Une lutte universelle dans un baiser.

Fat Beauty

amy
source : digital spy

J’aimerais avoir des goûts plus nobles, mais c’est la comédie romantique qui est, d’aussi loin qu’il m’en souvienne, mon genre de prédilection (la joie vient toujours après la peine, TMTC).

Mon premier souvenir d’enthousiasme cinématographique est “Les Demoiselles de Rochefort”. J’ai tout de suite été sensible au côté “Bulles de savon et Technicolor”. Il a marqué le début d’une passion pour les bluettes -parfois estimées- qui n’a, je le jure, jamais faibli. Et dans ce genre précis, j’ai un attrait particulier pour les films dans lesquels le héros découvre le Vrai Sens de la Vie à l’occasion d’une aventure dans laquelle son esprit est enfermé dans un autre corps que le sien.

“L’aventure Intérieure”, “Big”, “Ce que veulent les femmes”, j’en ai des dizaines en tête.  Tout ça m’a gentiment amenée à regarder “I Feel Pretty”, qui fait la tête de gondole de Netflix en ce moment.

J’aime bien Amy Schumer (enfin, jusqu’à août, je l’aimais bien. Maintenant, je veux voir tout ce qu’elle a fait) et l’idée m’a tout de suite parue pas loin du génial. Ça a exactement la structure des films nommés plus haut. Amy Schumer, qui a le physique que l’on sait et dont nous sommes nombreuses à subir une variante, joue un personnage dont la vie change du tout au tout après un coup sur la tête. Le monde lui sourit alors comme il le fait aux plus jolies. Le détail qui fait le sel du film est qu’elle ne change pas d’un iota. Après une ridicule chute d’un Je-sais-pas-quoi-bike qui peuplent les salles de fitness, elle reprend connaissance persuadée d’être une bombasse à l’élégance et au charme naturels. En réalité, elle garde son teint qui le dispute au porcin et la cellulite due à sa condition féminine.

Je vous épargne la morale, prévisible, et le scénario, prévisible, du film. La justesse qui m’a à la fois réjouie et enragée est celle des situations. Le film s’ouvre sur Amy, rouge, joviale et boudinée trottant dans les allées des magasins de mauvaises fringues prétentieuses. Une vendeuse mince vient lui signifier avec une politesse méprisante que sa taille ne sera pas disponible. L’accent décidé qu’elle prend communique assez clairement “et prends vite la porte, grosse vache, tu vas nous dégoûter la clientèle”.

Ça a l’air de rien, pour qui n’est pas concerné, mais cette scène et bien d’autres dans le film apportent un réconfort impossible à mesurer. “I Feel Pretty” ne passe pas vraiment son message naïf, que l’on pourrait résumer par “Ce qui est important, les filles, c’est d’avoir confiance en soi, d’accord ?”. Pourtant, la magie opère car le constat qu’il fait est évident pour une partie importante de la population (appelons cet échantillon “ les filles à gros cul”) mais totalement ignoré par les autres. L’idée est  que, quand t’es une fille, si t’es ordinaire, tu mérites d’être saquée car vraiment, tu ne fais pas bien ton boulot de fille. Tu pourrais au moins être jolie, merde. Et si c’est pas le cas, il est de bon aloi de te faire subir diverses humiliations.

Je fais partie des femmes qui vivent ça tellement souvent que je ne le relève plus précisément et “I Feel Pretty”, en me le rappelant, m’a fait me sentir moins seule. J’aurais pu être seulement attristée ou en colère, mais je cessai surtout d’être seule au moment où j’ai vu ce film. Et Amy Schumer fait passer avec un talent qui le dispute au génie son message chamallow. La scène de drague, la scène de sa participation à un concours de miss dans un mauvais bar tout ce qu’il y a de plus ricain, la scène de cul illustrent bien que plus on se censure, moins on est bon.Elle ne recule pas devant le potache tant qu’il est au service d’une idée, même simpliste et réconfortante.

Je l’assume, “I Feel Pretty”, est un de mes films préférés parmi ceux que j’ai vus dans les 12 mois qui viennent de passer.

Ca ne prévient pas, ça arrive…

Je n’ai pas posté grand-chose, ces derniers mois, tout simplement parce que je n’ai rien terminé. Mon été a été riche en idées avortées. J’ai un post qui traîne sur “I Feel Pretty” de et avec Amy Schumer, j’ai très envie de l’achever, mais je n’y arrive pas.

Tout ça pour dire que j’ai écouté le dernier album de Lady Gaga. J’ai poussé le vice jusqu’à l’acheter en vinyle. Pas la BO de “A Star is Born” mais “Joanne”.

Gaga
source: amazon

La première chanson qui m’a marquée est “Million Reasons”, sorte de variante pop et solide de “Glory Box”. Celle qui la suit sur l’album s’appelle “Sinner”s prayer”. Ami, si tu détestes Lady Gaga, va écouter cette seule chanson.

Je le jure, le son qui ouvre la chanson est le même qui celui qui ouvre

“Où t’étais ? – Invité par des potes à une soirée, on s’amusait bien, je n’ai pas vu l’heure qu’il était”

de ce bon vieux Ménélik. Suit une basse avec un genre de son de cymbale lointain qui donne une couleur Western au truc. Elle termine de planter le décor avec des incursions de piano qui font penser à Westworld, et des choeurs décidés. Et cette basse, tarantinolienne.

Ce truc, qui semble immonde quand je le décris, s’avère entraînant et plein de personnalité. Et ces trouvailles ne servent qu’à mettre en valeur la voix de Lady Gaga. Comment la décrire sinon dire que c’est l’exact opposé de celle de Lou Reed sur “Perfect Day”.  Dans Lou Reed, j’entends une énergie fragile. Pour Gaga, c’est davantage une fragilité énergique.

On croirait, avec le souffle qu’elle a en permanence, qu’elle ne tiendra pas. Elle part sur un morceau qui l’emprunte à la country, On se dit qu’elle peut y arriver si elle reste dans un registre lancinant.

Le premier refrain arrive. Elle s’y investit avec une détermination qui rappelle celle du Gospel. Et cette détermination gagne en confiance au fur et à mesure de la chanson. Je n’ai pas envie de parler de puissance, parce que justement, c’est ce grain de vulnérabilité de plus en plus assumé et porté avec foi qui me touche.

Ecouter cette chanson, c’est comme voir quelqu’un se lever après être tombé 7 fois. Même si on comprend mal l’anglais, difficile, avec l’interprétation qu’elle en fait, de ne pas saisir “ I get on my knees and beg you”. J’y perçois de la fatigue, de la compromission et l’agacement, aussi. Cet agacement devient l’énergie qui porte le refrain.

“Hear my sinner’s prayer / I am what I am / And I don’t wanna break the heart of any other man / But you, but you”

Gaga résume ici une part essentielle de la condition féminine. On pourrait dire qu’elle est un peu victime, un peu chattarde revancharde, mais ce “I am what I am”, articulé avec sérénité en fait la star qu’elle est, avec toute l’imagerie marketeuse des “Littles Monsters” autour. Ce “I am what I am” porte l’héritage du” Say it Loud, I’m Black and Proud”. Peu de chansons peuvent autant donner une profonde joie de vivre.

Une petite bleue et une petite blanche….

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Source : Télérama

Quand j’ai commencé ce blog, je me suis achetée un carnet Moleskine et j’y ai noté frénétiquement pendant plusieurs jours les chansons, les films, les scènes du quotidien qui me touchaient. Je récoltais des idées pour les consigner ici.

Dans mon casque, je suis tombée sur France Gall, sur Nickelback et sur la BO de César et Rosalie. Par défaut, avant de le voir, j’aimais ce film. J’adore Yves Montand depuis l’enfance. En César, il est le beauf lettré, le cocu viril, le perdant plein de panache dont peu de femmes voudraient partager la vie mais moins, ah oui, pourquoi pas, vraiment. J’aurais pu, j’aurais dû, presque, ne pas comprendre pourquoi Rosalie délaissait un tel type pour David. Mais autant Romy Schneider est surnaturelle, autant Rosalie est vraisemblable, crédible. J’ai un souvenir très vague du film, mais je me la rappelle comme tiraillée entre l’Amour et le Quotidien, à travers David et César.

C’est la lettre de Rosalie qui fait partie des morceaux que j’ai sur ma playlist. A cause de Sissi, j’ai longtemps cru que Romy Schneider était niaise. Je n’avais pas vu “Max et les ferrailleurs”. Sur les morceaux qu’elle interprète dans les BO de Sautet, quelle que soit l’amoureuse qu’elle joue, elle a cette diction à la fois confiante et triste.  Et elle tour à tour pute, femme aimée de deux hommes irrésistibles, femme délaissée, actrice sur le déclin…

Comme dans la chanson de Barbara dont j’ai parlé plus tôt, le texte fait beaucoup. “La lettre de Rosalie ”est une nouvelle démonstration d’un monologue écrit par un homme et qui s’avère crédible prononcé par une femme. Tout est juste, et tout amène en même temps vers la dernière phrase. Cette phrase qui résume l’idéal que les femmes sont éduquées pour espérer. “Toi tu seras toujours David ( et il faut entendre Romy Schneider prononcer ce prénom, accentuer la première syllabe et expirer la seconde) , qui “m’emmène sans m’emporter, qui me tient sans me prendre et qui m’aime sans me vouloir.

Eloge de la fuite

Je pourrais, comme Mylène Farmer, clamer « Je t’aime, Mélancolie ». Mais tout de suite, je pense aussi , comme souvent, à Nick Hornby. Je suis dans un train, je n’ai pas de wifi, je travaille sur un powerpoint en revenant d’un déplacement pendant lequel j’ai dormi dans une chambre décorée avec une croûte que même pas tu veux savoir que ça existe. Après, je pense aux « Choses » de Perec, et bon, bah, j’ai un peu le seum, tu vois.

Là où Nick H me sauve encore et toujours, c’est qu’il me donne l’idée de lever le nez de mon taf et de regarder le paysage.  Il fait beau, comme Michel Sardou et Chimène Badi avant moi, je viens du Sud (c’est-à-dire que je reviens de Baillargues, que je ne connaissais pas du tout il y a 25h).  Et bim, mon i-Pod envoie Kurt Vile, quelque part pour moi entre Eddie Vedder et Bob Dylan.

kurtvile2015

BlackBerry Song, particulièrement, embue tout. Quand j’écoute ça, j’imagine quelqu’un qui s’enliserait avec dignité. Autant de tristesse mais moins de larmes que chez Jeff Buckley. Comme la plupart des artistes que j’aime durablement, Kurt Vile me rassure. Sa musique m’émeut car, de façon implacable, elle m’assène que l’adolescente en moi reste vivace. Comme le miroir et le calendrier dévoilent chaque jour un peu plus la mémère que je suis, ça met quand même toujours du baume au cœur d’être capable de regarder le paysage en rêvassant.

Il n’a rien d’un punk, Kurt, mais l’écouter me rappelle toujours que l’embourgeoisement n’est pas le seul salut. Blackerry Song, c’est une fugue. Je n’imagine pas l’écouter en ayant d’autre envie que celle de m’évader. Le flou de cette chanson, c’est là qu’on approche le punk et l’intime. Ce folk qui prend aux tripes tout doucement a la politesse de ne pas penser à ta place. Fuis ce que tu veux, et sans emmerder personne. Ecouter cette chanson autrement que seul, c’est presque obscène. Quelque chose invite à la fuite donc, à la solitude, à ne penser qu’à soi. A ne pas prendre de place et à regarder le monde poursuivre son cours. A être plus sympa, mais plus loin.

Quand cette chanson est sortie, Kurt avait moins de 30 ans. Je gagnerai en sagesse à chaque écoute, toute mémère que je devienne.

Duel

Le nom de cette rubrique obéit, contre toute attente, à une logique. S’y trouvent et s’y trouveront toutes les chansons que le cinéma ou une série a mis particulièrement en valeur à mes yeux. J’ai adoré des dizaines de morceaux  comme ça. On croit une chanson un peu niaise, un peu familiale. Et quelqu’un vous montre à quel point vous aviez tort.

horse

Celle que j’ai réécoutée ce soir et qui tient une place particulière dans cette catégorie est ce bon vieux “Horse with no Name” de ce non-moins bon vieux America. Impossible, avant d’avoir vu l’ouverture de “je ne sais plus quelle saison – la 3, peut-être” de Breaking Bad de remarquer cette chanson comme elle le mérite. Je plaide d’importantes circonstances atténuantes : comment être pris d’une dévastatrice passion quand on a entendu pour la première fois un titre sur radio Nostalgie  (je n’ai pas précisé “cette bonne vieille”, parce que bon, c’est induit, tu crois pas ?)

Revenons à nos White moutons. Walter est tout seul, dans une caisse pourrie, sur une route à l’avenant. Cette image m’a marquée. Elle a absorbé en elle tous les autres souvenirs de l’épisode. Je me souviens d’une tension particulière. Il est bien possible qu’une voiture de flics arrête celle de White.  J’ai oublié tout ce qui se passe, mais aucune des sensations éprouvées alors.

Après ça, “A Horse with no Name” est devenu limpide. Du désert, de la soif, de la solitude, une probable mort prochaine. J’imagine même les squelettes qu’on voit dans les films joncher le parcours de l’aventurier audacieux et solitaire. Une fois cette étape franchie, j’ai entendu parler d’une évocation de l’héroïne.  Voilà autre chose qui me plaît : tu crois avoir atteint le summum du sulfureux quand tu as écouté 4000 fois “Heroin”, du Velvet et bim, tu réalises qu’un groupe à la papa a fait la même chose en plus sournois. Si t’es pas encore convaincu, le “destin de l’auditeur” s’en charge et vient mettre sur ta route la même explication de “Golden Brown”.

Ces trucs que tu entendais au supermarché, parfois entrecoupés de “Patricia, en caisse numéro 2 s’il te plaît” sont l’expression du type qui refuse de vieillir mais qui n’y peut rien.  Il voudrait bien parler de drogue, mais bon, y a les enfants à côté… “Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait” contenue tout entière dans ces choeurs candides.

Marriage and the City

Je continue de flâner sur les séries du couple. J’ai poursuivi le visionnage des histoires amoureuses fictionnelles. L’effondrement du couple est souvent abordé. On approche des années 2020 et un nouveau sujet monopolisera sans doute la prochaine décennie.

« Divorce. » fait sans doute partie du baroud d’honneur  de la thématique. Produite par Sarah Jessica Parker, elle raconte les déboires d’une quinquagénaire new-yorkaise ( SJP, tu peux faire semblant d’être une jolie fille de 41 ans, mais tu dupes plus personne, ma poulette).  Oui, toi aussi, tu la vois, la grosse grosse parenté avec « Sex and the City ». D’autant que Frances, galeriste en permanence sapée comme jamais, a deux copines un peu chtarbées.

Malgré cette allure de fond de tiroir, j’ai tout de suite énormément aimé « Divorce. » Le simple fait d’intégrer un point au titre m’a semblé relever du génie typographique.Divorce-HBO-1 Après, j’ai un peu modéré mes ardeurs. Reste que la série contient des éclairs d’une sensibilité dont la justesse étonne. Les premiers épisodes montrent l’ex mari comme un beauf installé confortablement dans sa vie.  Un personnage comme lui est à l’origine de vraies belles scènes de comédie. Ne sous-estimons pas la puissance comique du con indigné. Passé l’aspect vaudevillesque des deux premiers épisodes, s’installe une atmosphère de quotidien qui laisse une place, infime peut-être, mais une place quand même, au beau. Le désamour dans lequel la haine le dispute sans cesse à l’affection teintée de regrets imprime tous les épisodes. C’est de là que sort le magnifique accidentel. Le meilleur épisode, celui qui vaut vraiment la peine d’être vu, est celui où Frances et son beauf vont fêter Noël pour la dernière fois dans sa famille à elle. Evidemment, elle n’a pas eu le cran d’annoncer sa Bérézina intime à ses parents. En découlent des quiproquos parfois réussis. Puis une scène dans laquelle le couple moribond s’endort dans la chambre d’adolescente de Frances.  Filmée comme ces scènes le sont souvent. On aperçoit les contours des visages dans l’obscurité. Pour la première fois, les ex se parlent avec une réelle volonté de communiquer. L’heure n’est plus aux comptes, pas encore à la guerre.

Et là, le beauf moustachu (mais l’auriez-vous imaginé autrement ? ) formule cette banalité qui, dans le contexte, devient poignante. « J’ai fait des erreurs. Il y a des erreurs qu’on ne peut pas réparer ». Et tout devient clair, en tout cas, cette petite phrase a clarifié beaucoup de choses pour moi. Le bonheur conjugal est voué à ne pas durer puisqu’il met en scène des êtres humains et qu’ils sont taillés, sinon pour l’échec, du moins pour l’erreur. On ne peut pas attendre de l’amour autre chose qu’une inéluctable dégringolade.  Cette petite idée m’a apporté beaucoup de réconfort, en suivant la logique du post sur Pink Floyd. Ca a créé une démarche de révision à la baisse des attentes, envers moi aussi. Avec cette impression de ne pas vouloir de l’amour au rabais, mais d’accepter de l’amour qu’il soit humain. Faillible. Mortel.

Lonely Loverz

brelJ’ai vraiment un truc avec les chansons qu’on connaît pendant des années avant de les aimer. J’ai eu ça avec “La chanson des vieux amants”, entre autres. Je suis bien certaine que j’aurai envie, ici, un jour  d’écrire sur une autre chanson aimée sur le tard.

Que ces baffes sont douces.  J’ai aimé cette chanson pendant mon DEUG. Je devais avoir le même mauvais Best Of Brel que la plupart des beaufs un peu snobs. Je n’avais pas un rond, pas la téloche, j’aimais fumer des joints toute seule (même période que la “Mano Solo” évoquée plus bas.) J’écoutais énormément de musique. A cette lointaine époque, Internet balbutiait et j’avais pas assez de fraîche pour avoir, de toute façon, un ordinateur.

J’écoutais des CD. Je devais réussir à en acheter 3 par mois, ma collection croissait lentement. De mon humeur dépendait un choix de deux ou trois CD que j’écoutais en boucle pendant une période avant de changer de sélection. Je pense avoir écouté chaque album que j’avais des dizaines de fois. Et pour certains titres, un jour, miraculeusement, un genre d’épiphanie. Une révélation, dirais-je, si j’étais moins précieuse. C’est ça, la baffe nommée plus haut.  C’était une part du charme des CD. T’es en train de somnoler, une chanson que tu aimes moyennement passe et tu as la flemme de bouger tes fesses pour appuyer sur le bouton qui te permet de passer à la suivante. Tu tombes sur “La chanson des vieux amants”.

C’est comme ça que j’ai écouté pour la première fois les paroles. J’ai commencé à entrevoir ce que pouvait signifier réellement “cette chambre sans berceau”.  A imaginer la pesanteur. Ce n’est plus une baffe, c’est une chappe. Ecouter ça à 40 ans met presque le coeur à vif. Je n’ose imaginer quelle réaction cela produira dans une vingtaine d’années.

 ADDENDUM : Quand tu recherches « La chanson des vieux amants » dans Deezer, il te propose la version de Slimane, un mec de « The Voice »…

Demain, tu te maries

patoche

Dans les premiers posts de ce blog, j’avais parlé d’une chanson de Barbara, “Septembre” que le visionnage de “Sous le sable” m’avait révélée. Je me souviens en avoir résumé le propos en la comparant à  “Et nos baisers” de C. Jérôme.

Pour une bonne partie de ma génération, Barbara est une vieille chanteuse un peu chiante pour gens vaguement lettrés et franchement pédants. Peut-être que j’en fais partie.

Barbara n’a jamais rien évoqué d’intellectuel pour moi. J’ai écouté beaucoup de merdes – mais pas seulement- avant d’arriver jusqu’à elle. C’est la raison pour laquelle j’ai l’impression que c’est “Septembre” qui reprend le sujet de “Et nos baisers” alors que la chronologie dit l’inverse. Je me fais duper de la même façon avec “Le bel âge” et “Il venait d’avoir 18 ans” et “D’elle à Lui” et “Arrête, arrête”. Là, c’est “arrête, arrête” la kitscherie ultime dont je vous recommande l’écoute et “D’elle à lui” est la chanson de Barbara.

C’est une chanson qu’on entend sur l’enregistrement de ses concerts à L’écluse.Elle y a une voix encore jeune et claire. C’est une de mes préférées. Elle n’est pas de Barbara. C’est un homme qui l’a écrite. Je ne sais plus qui, et je m’efforce d’alimenter ce blog avec mes sentiments, pas le résultat de vérifications dans Wikipédia.

Apprendre ça m’avait sciée, à l’époque. L’idée qu’un homme puisse concevoir avec autant de précision un discours de femme ne m’avait jamais effleurée. J’ai pris la même claque plus tard avec “Thérapie” de David Lodge.

Chaque écoute de cette chanson me procure le même étonnement. Un émerveillement accompagné d’une frustration.  Ca donne “Ah bon, il existe des hommes capables de conceptualiser la pensée d’autrui ? Et d’une femme ? Et précisément ? Et sans mépris ?” suivi de “Ah mais oui, y a David Lodge et le mec qui a écrit d’Elle à lui.” C’est un peu comme la phrase de Mae West : “Il y a deux hommes idéaux : l’un est déjà mort et l’autre n’est pas encore né”.

“D’elle à lui” bénéficie d’une interprète extraordinaire. Mais c’est avant tout un texte d’une intelligence exceptionnelle. Et ce qui me  fascine autant que l’acuité de l’auteur, c’est que c’est exactement le même thème que “Arrête, arrête” dont on jurerait que c’est une parodie. L’idée est assez réconfortante. Quand on aime écrire, on se censure souvent car le thème qu’on a choisi semble éculé. Si quelqu’un en a déjà parlé, c’est mort, il sera impossible de créer quoi que ce soit de valable. Puis on écoute ces deux chansons et on se dit qu’il y a de la place pour les redites.