Et dans mon coeur un décalcomanie

Pour l’amour, les souvenirs de silence sont mes préférés. C’est con,  je dois compter parmi les 10 personnes les plus bavardes de Seine-Saint-Denis. Mais… ce moment où l’on rate le premier baiser. Ce moment où tout est possible et où on ne fait rien. Ce moment que j’ai vécu quelquefois et dont je chéris davantage le souvenir que celui du premier baiser. On marche à côté de l’autre, souvent. Parfois le silence ponctue un bavardage plus ou moins pudique, parfois il dure des minutes entières. L’instant de grâce s’arrête parce que les bulles sont faites pour éclater.

J’attends le premier mort dégueu dans les films d’horreur et le premier baiser dans les comédies romantiques. C’est mon côté “fille de la campagne”, j’aime pas bien qu’on me mente, alors j’attends d’un film qu’il tienne ses engagements.

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”Quelques heures de printemps” est peu engageant. En milieu rural, une femme plutôt âgée et aigrie choisit l’euthanasie lorsqu’elle se sait malade. Elle n’en parle pas, mais  son fils qui vit avec elle depuis sa sortie de prison découvre sa décision. Là, on comprend bien pourquoi j’ai gardé le film chez moi au moins trois ans avant que ne me vienne l’envie de le regarder.

Il comporte pourtant une de mes scènes de baiser préférées. Un non-baiser. Un “on en a tous les deux envies mais c’est trop con, c’est trop tard”. Olivier Perrier embrasse Hélène Vincent sur la joue et il y a là plus d’amour que dans n’importe quelle glucoserie qu’on vend aux filles. Y a un truc avec Stéphane Brizé. Il choisit un terreau ordinaire et fait pousser dessus un genre d’amour auquel on croit et qui renverse. Précisément grâce à l’ordinaire autour. Précisément parce qu’il y a du ratage dans l’air.

Y a du supermarché dans “La loi du marché”, “Quelques heures de printemps”, “Entre adultes”, y a de la lumière dégueu, des gens habillés avec un goût inégal, et de l’amour. Celui qu’on ne dit pas spécialement, ou pas trop bien. Ou pas du tout. Olivier Perrier et Hélène Vincent sont voisins depuis toujours, elle fait des gâteaux, il les trouve fabuleux. Ils passent leur vie l’un à côté de l’autre à parler de la météo et du nouveau coiffeur du bled. C’est exactement comme un mariage, finalement. Mais l’occasion de leur premier baiser se présente quand il sait qu’elle veut mourir.  Après des années à côté d’elle, il fait cet unique geste. Une bise appuyée. Longue. Silencieuse.  Qui met au tapis.

Un creux

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“Un air de famille” fait partie de mes films préférés. “Cuisine et dépendances” et “Mes meilleurs copains” doivent, de temps en temps, lui piquer sa place dans mon classement.

C’est le sens du détail qui me plaît particulièrement. Un détail parmi d’autres est le creux dans le cou de Bacri. A l’époque où j’ai vu “Mes meilleurs copains” pour la première fois, je n’ai pas remarqué ce creux. Plus qu’un creux, c’est la marque d’une pointe. On est plus dans le corrosif que dans l’érotique. J’avais lu une interview où il expliquait vaguement ça, mais j’ai oublié l’origine de cette marque.

Quand je regarde un film dans lequel Bacri joue, je cherche sa cicatrice. Si je ne la voyais pas, sa mauvaise humeur constante m’agacerait. Je suis tombée sur lui rapidement dans “La femme de ménage” cette semaine. La façon dont son visage était éclairé montrait que cette pointe interrompait une longue ligne. CortoMaltesque.

Le temps passant, la peau se distend et il me semble que chaque année, on voit mieux la cicatrice. Ou peut-être que c’est l’effet du temps sur moi qui fait que je la regarde toujours un peu plus. Plus que son grain de beauté.

Dans un air de famille, “Riri” en pull jacquard sans manches, appelle Arlette, avec sa cicatrice.  Erosion des sentiments, mauvaise foi, excuses bâclées. Bien sûr, cette putain de cicatrice est la raison pour laquelle Arlette revient.

Stephen.

J’avais pas prévu que me remettre à écrire sans prétendre que je me fous d’être lue serait si difficile. L’idée de base était de me foutre un petit coup de pied au cul, me prouver que j’étais capable d’aligner 3 phrases, voir un peu ce que ça fait de se désinhiber. Ca fait que je me trouve autocentrée à balancer du “Hé, lisez-moi”, hein” sur Facebook. J’ai l’impression d’être une des petites bouteilles que se tape cul-sec Alice juste avant d’arriver dans le gras du pays de Merveilles.

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L’idée, c’est de continuer quand même. Je suis en train de lire “Ecriture” de Stephen King. Depuis mes 15 ans, le meilleur Stephen King que j’aie lu. C’est à ce demander pourquoi il se casse le cul à trouver des histoires, quand il raconte sa vie, il prend soin d’y mettre une bonne couche d’ordinaire et ça reste captivant et réconfortant. Il y a des tonnes d’écrivains dont j’admire le travail et qui ne développeront jamais chez moi la groupie-attitude de celle qui veut à tout prix rencontrer sa star. Mais Stephen King, j’adorerais descendre des Barbar avec lui au comptuche du Bouillon Belge. Déjà parce que c’est un bar où le barman de 21 ans et 42 kilos me fait la bise et m’offre des shots pour mon anniversaire. Et mine de rien, c’est grâce à ce type de gestes que je me donne 10 ans avant de tomber du  côté obscur de la Bogdanisation.

Surtout parce que Stephen King comble d’une façon limite saugrenue mon amour pour les histoires de midinette. Le mec est bien plus efficace que n’importe quel kilo de chick-litt que tu trouves dans les points Relay des gares les plus nazes. Il y a toujours un truc chez lui qui me donne une foi assez solide en l’être humain. Le type qu’a l’air profondément gentil en te racontant “Cujo” ou” Jessie”, forcément, tu te dis que tout ne peut pas être faux. Le propos d’“Ecriture”, c’est donc de raconter sa vie d’écrivain, les découragements auxquels il a fait face, le soutien de sa femme. Sur le papier, rien de fou. Mais en creux, ce récit recouvre tout d’un patin de nostalgie, d’un truc qui me semble typique de la tendresse qu’éprouve un alcoolique en rémission. L’impression que derrière chaque ligne, il pense “Finalement, y a des trucs pas si mal quand on n’est pas défoncé”.

Je ne sais pas où il en était quand il a écrit ça. D’une façon ou d’une autre, transpire l’élan du condamné, la faim inextinguible (oui, j’ai envie d’utiliser inextinguible. Et 2 fois, même) de réparer avant de mourir. C’est peut-être à ce type de sensation que je conclus avec encore plus de conviction que le mec est profondément sympa.

Y en a trop, je vous le laisse ?

Bien que je n’aime absolument pas les westerns, je suis au courant que j’ai un point commun avec Sentenza. Et non, ce n’est pas la moustache. Comme lui, quand il s’agit de cerner mes congénères, je suis certaine que le monde se divise en deux catégories. A bientôt 40 piges, je fais mon maximum pour nuancer ma vision des choses, mais je l’admets, j’y arrive mal. Voire pas.

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Je vois bien, quand je discute un peu sincèrement avec les gens (c’est-à-dire, souvent en soirée, et rarement sobre), que même les personnes les plus bienveillantes ont un peu pitié de cette articulation manichéenne.  Je me rappelle une discussion récente avec une fille que je connais un peu mais pas hyper bien. On discute de choses et d’autres, j’ai bu au moins 3 verres donc je raconte ma vie sans la moindre pudeur et sans me soucier une seule seconde de savoir si ça l’intéresse. On parle de politique et je lui sors une de mes théories aussi fumeuses que mal documentées. A un moment, je lui expose une de mes punchlines binaires qui est que, en gros, je suis persuadée que dans la vie, il y a les gens qui aiment la liberté et les gens qui aiment le confort. La fille est atterrée par l’énormité de la connerie que je viens de prononcer. Elle essaye, vraiment sympa, de me prouver que c’est du caca mais bon, non, je lui dis que je crois vraiment ça. Parce que c’est vrai. On bascule bien de temps en temps d’une catégorie à l’autre mais je crois réellement qu’on ne peut pas vouloir et avoir simultanément la liberté et le confort. De la même façon, je suis assez persuadée qu’il y les gens qui ont peur de la vieillesse, et ceux qui ont peur de la mort. J’appartiens à la première catégorie. Si mon train de vie de freelance s’améliore, je concède qu’il est possible que d’ici une dizaine d’années, je me fasse complètement Bogdaniser la tronche, rendue encore plus vulnérable par le temps qui passe. On verra.

Le bon côté, c’est que je n’ai jamais eu peur de la mort. On meurt, on s’en fout et ceux qui en bavent sont ceux qui vous ont aimé. Comme je n’ai pas peur, et comme j’ai ce besoin d’être aimée qui confine à la pathologie, je me demande souvent quelle playlist passera à mon enterrement.

Parmi ma playlist funèbre idéale, il y aurait forcément “Septembre” de Barbara. Dans un souci de vrai chic, il faudrait que je passe l’arme à gauche en aôut. Pour ceux qui ne la connaissent pas “Septembre”, c’est un peu “Et nos baisers” de C. Jérôme, mais en bien.  C’est la fin de l’été, on a roulé des pelles, on a mis la main dans le maillot de bain d’un (ou plus) représentant du sexe convoité, on croit un peu qu’on est amoureux mais on pressent bien que les trajets en RER A  auraient rapidement raison de ces émois.

Barbara étant ce qu’elle est, elle dit tout ça avec élégance, sensibilité et un piano mélancolique. J’aime Barbara depuis longtemps. Je connais donc cette chanson depuis longtemps aussi. On n’est donc pas au niveau de la révélation Cocciante, mais “Sous le sable” (non, pas “Sous le soleil”) m’a quand même ouvert les oreilles sur la beauté de “Septembre”. Rampling, dans ce dont je me souviens comme une supérette de camping, achète son Monique Ranou en ne parvenant pas à réaliser la mort du Bruno Cremer de sa vie.

Je ne serai pas trop capable de dire combien de temps dure cette scène mais elle m’a laissé une impression vivace parce que c’est une description de l’amour très juste.  La première fois que j’ai vu cette scène, je n’avais pas encore partagé mon quotidien avec un type. J’avais été dans la configuration où le mec traîne tous les soirs ou presque chez toi, mais rien n’est officiel, la liberté reste à portée d’engueulade.  Ce truc d’Amour & Monique Ranou était encore abstrait pour moi.

Et puis François Ozon. Charlotte Rampling. Barbara. Un seul des éléments du couple est à l’écran. On n’a même pas une voix off qui expliquerait à quoi pense Charlotte Rampling en profitant de la promo “3 pour 2”. Et bim, on entrevoit un instant la cohabitation entre l’amour et le quotidien. Alors même que Barbara parle de se dire “au revoir”, on pressent un peu ce que ça fait de se dire “au revoir” tous les jours, pour savoir qu’on va se retrouver 12h plus tard, et s’inscrire dans un schéma qui vise à reproduire cet échange pendant une durée indéterminée.

ADDENDUM : On me dit que c’est Blondin qui divise le monde en deux catégories. C’est vrai. Je trouve davantage de charme à Sentenza, je ne corrige pas mon erreur. 

L’amour vs la machine

Avec “Avec le temps”, “Brandt Rhapsodie” est une de ces chansons pour lesquelles on n’a pas le choix. Ce ne sont plus des chansons, elles sont la vérité.

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Je n’aime pas Ferré. Vraiment pas. J’ai tenté, j’ai échoué. Mais peu de chansons m’émeuvent comme celle-ci. Quand elle déboule dans mon casque, très souvent, je prends conscience que je n’étais pas en train d’écouter la musique réellement.  La vérité du texte me saute à la tronche et me tétanise.

Je n’écoute pas vraiment “Brandt Rhapsodie” au casque, plutôt chez moi, dans la pièce principale, quand je suis seule. Je suis alors la ménagère en qui sommeille de façon très légère une adolescente au coeur brisé. Mais est-il des adolescentes dont le coeur n’est pas brisé ?

Quand on écoute Benjamin Biolay et Jeanne Cherhal égrener les Post-it, on visualise immédiatement  qu’ils mesurent les degrés de la déchéance d’un couple. On cherche à savoir où on se  situe sur cette échelle. Pour en avoir parlé avec des personnes qui connaissent cette chanson, je sais que le réflexe est plutôt répandu. Et mène inéluctablement à la mélancolie satisfaite de “celui qui sait”.

Si vous êtes plutôt jeune – et je ne parle de se trouver jeune, je parle de l’être –  et que votre histoire d’amour en est à ses balbutiements, fuyez. Préservez la connerie naïve des premiers émois. Dans le cas contraire, accordez cinq minutes à l’écoute de cette chanson. Quel que soit votre attrait pour Jeanne Cherhal ou Benjamin Biolay. Parce que la sobriété de leur interprétation met en valeur la froideur chirurgicale du texte. Là, je sens bien que décrire une chanson d’amour en parlant de “froideur chirurgicale”, ce n’est pas vraiment servir mon propos.

C’est pourtant exactement grâce à ça que Brandt Rhapsodie vous achève. Ca commence avec une ligne de basse au rythme volontaire et aux notes découragées. S’ensuivent des phrases courtes, où le prosaïque finit par avoir raison de la passion. Et hop, “just like that” (Carrie Bradshaw for ever), on capitule. On admet la mascarade délicieuse puis fatale qu’est la vie de couple. Bref, on termine à la fois déprimé et réconforté.On est un peu malheureux, mais ordinaire, donc normal. Et peu de choses peuvent rassurer plus que ça l’adolescente en train de préparer un pot-au-feu. Tout va bien, finalement.

L’épiphanie Cocciante

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De la sueur, de la pisse, du carrelage de métro : ça part bien, ça part sympa

Longtemps, la musique devait, pour moi, se suffire à elle-même.  Je passais du temps seule à écouter, souvent en boucle, l’album du moment. J’étais déjà – encore plus – trop émotive. Je n’avais aucun besoin de complexifier des sensations primaires, certes, mais bouleversantes.

Il y avait les morceaux que j’aimais, ceux que je n’aimais pas. Mon jugement ne connaissait ni appel ni réserve, j’étais adolescente. La musique et les réactions qu’elle provoquait chez moi n’avaient besoin d’adjuvent d’aucune sorte. Ca a dû commencer à changer avec Rochefort dans Tandem qui déambule en peignoir sur “Il mio Rifugio”. Il dégage la tranquillité du mec qui laisse balloter ses couilles sous la robe de chambre. La solitude tient la dragée haute à la pudeur.

Et c’est pile ce que dit cette scène. Je me souviens que la caméra balaye pesamment un appartement meublé d’un innommable bordel. Cocciante, son piano dégoulinant et sa voix virilement geignarde sont le seul fil conducteur de ce merdier. Quelques secondes passent, et déboule Rochefort-la-couille-indolente.

Il est seul parce que dépressif, de cette dépression qui fait perdre non seulement le goût de la vie mais aussi la raison. On le cueille sur le point de basculer. Cocciante à fond. Cocciante, que, bien évidemment, snob comme le sont les ados attardés, je détestais sans la moindre nuance. Le mec avait commis “Un coup de soleil” et oscillait quelque part en Jean-Luc Lahaye et Zucchero dans mon esprit.

Mais Rochefort-le-zgeg-au-vent, Rochefort-qui-taquine-le Xanax a tout changé, le con. “Avec le temps” ou “Heroin” perdaient leur légitime aura de meilleures chansons dépressives. Le cinéma changeait ma façon d’écouter. Plus de 15 ans après avoir vu cette scène “Il mio rifugio” continue de me coller la chair de poule.