Embrasser est un sport de combat

Quand j’ai écrit le premier post de cette catégorie, j’avais en tête la préoccupation d’écrire sur les baisers de cinéma qui m’ont le plus émue. Mon préféré a longtemps été celui qu’échangent Betty et Denis dans “Un air de famille”. Je pense très souvent, et depuis très longtemps, à cette scène, et écrire à son sujet est très difficile. Ca me fait l’effet d’être Patrick Bruel quand il chante Barbara. Pas vraiment à la hauteur.

jp et agnès
source : tout le ciné

Toutes les choses importantes sont pour moi contenues dans ce baiser. Betty et Denis entretiennent une relation qu’elle qualifie de “merdeuse” avant d’y mettre un terme au début du film. Denis est serveur au “Père tranquille”, bar dont le patron n’est autre qu’Henri, le frère de Betty. Parce que la famille de Betty embrasse la mesquinerie de toutes les façons possibles, elle leur cache sa relation – merdeuse, donc- avec Denis. Le film analyse l’échec d’une réunion de famille, et par là-même, l’échec de la famille.

Betty et Denis se séparent au début de la soirée et n’ont presque aucun moment seuls dans les heures qui suivent. Elle lui fait vaguement croire qu’elle a quelqu’un d’autre, on comprend facilement pourquoi elle attribue le qualificatif qui le blesse tant en parlant de leur liaison. Mais, d’une autre façon, tout aussi juste, que chez Stéphane Brizé, on saisit en observant les regards qu’ils s’échangent, les inflexions dans leurs voix, qu’ils sont amoureux l’un de l’autre. Au moment où le film les cueille, ils n’ont pas d’avenir. Et ils se donnent un des plus beaux baisers du cinéma français.

A la fin de la soirée, Denis termine son service et quitte le bar. Betty lui emboîte le pas. Ils sont sur le perron du “Père tranquille”. En parlant du “fiancé” que la mère de Betty a évoqué avec elle, Denis, dont l’allure trimballe en permanence la résignation, lui demande “Dis, il serait pas serveur au Père tranquille, ton fiancé ?”. Et Betty l’embrasse. En queue de cheval et blouson de cuir, elle capitule. Elle a la capitulation libre et courageuse. Elle embrasse Denis, le serveur, devant son frère, le patron de Denis, devant sa mère, une mémère aigrie qui n’a jamais su aimer qu’un seul de ses trois enfants et qui voulait pour elle un beau parti. Il y a plus de sens dans ce baiser que dans bien des films “sociaux”. Une lutte universelle dans un baiser.

Un creux

bacri

“Un air de famille” fait partie de mes films préférés. “Cuisine et dépendances” et “Mes meilleurs copains” doivent, de temps en temps, lui piquer sa place dans mon classement.

C’est le sens du détail qui me plaît particulièrement. Un détail parmi d’autres est le creux dans le cou de Bacri. A l’époque où j’ai vu “Mes meilleurs copains” pour la première fois, je n’ai pas remarqué ce creux. Plus qu’un creux, c’est la marque d’une pointe. On est plus dans le corrosif que dans l’érotique. J’avais lu une interview où il expliquait vaguement ça, mais j’ai oublié l’origine de cette marque.

Quand je regarde un film dans lequel Bacri joue, je cherche sa cicatrice. Si je ne la voyais pas, sa mauvaise humeur constante m’agacerait. Je suis tombée sur lui rapidement dans “La femme de ménage” cette semaine. La façon dont son visage était éclairé montrait que cette pointe interrompait une longue ligne. CortoMaltesque.

Le temps passant, la peau se distend et il me semble que chaque année, on voit mieux la cicatrice. Ou peut-être que c’est l’effet du temps sur moi qui fait que je la regarde toujours un peu plus. Plus que son grain de beauté.

Dans un air de famille, “Riri” en pull jacquard sans manches, appelle Arlette, avec sa cicatrice.  Erosion des sentiments, mauvaise foi, excuses bâclées. Bien sûr, cette putain de cicatrice est la raison pour laquelle Arlette revient.